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La dérive des questionnaires de personnalité en entreprise : quand MBTI et DISC finissent par mettre les individus dans des cases

Dans de nombreuses entreprises, les tests de personnalité tels que le MBTI (Myers-Briggs Type Indicator) ou le DISC (Dominance, Influence, Stabilité, Conformité) sont devenus des incontournables du management moderne. Présentés comme des leviers de cohésion, de communication et de meilleure connaissance de soi, ils séduisent par leur apparente simplicité et leur promesse d’efficacité collective. 

Pourtant, derrière cette apparente bienveillance se cache une dérive plus subtile : celle de réduire la complexité humaine à un profil fixe, à quelques lettres ou à une couleur.  

Et en cherchant à comprendre les personnalités de chacun, on en vient parfois à les enfermer dans des cases… 

Une illusion de science séduisante mais réductrice

Le succès du MBTI et du DISC repose sur leur capacité à rendre la psychologie accessible. Leur langage est clair, leurs typologies sont plutôt faciles à retenir, et leurs profils, souvent présentés sous forme de couleurs ou de lettres, semblent immédiatement parlants. Cette simplicité, perçue comme un atout pédagogique, en fait des outils séduisants pour les managers et les équipes.  

Ces outils ne sont pas sans intérêt, mais leur validité demeure relative : une même personne peut obtenir des résultats différents selon son état émotionnel, le contexte professionnel ou la période de sa vie. Et surtout, elle ne se réduit pas à 4 dimensions, sans compter qu’il faut différencier l’inné de la gestion de l’acqui et du stress

Autrement dit, ces tests ne mesurent pas une identité stable, mais une photographie partielle et mouvante. Le risque apparaît lorsque l’entreprise la prend pour un portrait définitif. 

Mettre les gens dans des cases avec le DISC ou le MBTI : une dérive managériale

Lorsqu’un questionnaire de personnalité devient un outil de jugement ou de décision, la dérive est inévitable. 
Attribuer à un salarié une couleur (“rouge dominant”, “vert stable”) ou un type MBTI (“INTJ”, “ESFP”) revient à figer une identité et à la réduire à un stéréotype. Peu à peu, ces étiquettes s’installent dans les discours, orientent les perceptions et influencent les comportements. 

“Je suis introverti, donc je ne peux pas être un bon manager.” 
“Elle est trop ‘influence’, elle n’est pas faite pour l’analyse.” 

Ce qui n’était au départ qu’une typologie devient une croyance limitante, pour soi comme pour les autres. 

En voulant mieux comprendre ses collaborateurs, l’entreprise finit parfois par projeter sur eux des identités figées. Cette logique, sous couvert de bienveillance, appauvrit la diversité psychologique des équipes et freine l’évolution individuelle. 

Là où l’on croit créer de la clarté, on installe parfois des barrières invisibles. 

La promesse de la connaissance de soi… ou le piège de la simplification

. Ees questionnaires comme le MBTI, le DISC séduisent parce qu’ils proposent une narration simple, qui parfois devient simpliste en fonction de son utilisation. Ainsi, chacun aurait un rôle, un style, une manière d’être utile au groupe. 
 

Ce récit, rassurant pour les managers comme pour les collaborateurs, donne l’impression de maîtriser la complexité humaine. Mais cette illusion est précisément le cœur du problème. 

La personnalité n’est ni stable, ni linéaire. Elle évolue selon le contexte, les expériences, la culture d’équipe et les cycles de vie professionnelle. Réduire cette variabilité à un profil, c’est ignorer ce que les situations, les apprentissages ou les émotions transforment en nous. 

En fin de compte, ces outils ne sont pas dangereux par nature. C’est leur usage rigide, détaché du contexte, qui transforme un instrument de compréhension en outil d’assignation. 

 

Comment utiliser le MBTI et le DISC avec discernement ?

Bien utilisés, le MBTI et le DISC peuvent nourrir une réflexion collective précieuse. 
Ils ne doivent pas être bannis, mais replacés à leur juste place. Celle d’un support de dialogue, d’une feuille de lecture commune, et non d’un verdict psychologique. 

1. En faire un outil de conversation, pas une étiquette

Un questionnaire de personnalité ne décrit pas une vérité, mais un angle de perception. 
Utilisé dans un cadre d’équipe, il peut faciliter la compréhension mutuelle et aider à reconnaître des préférences comportementales. 
Car, ce qui importe n’est pas le résultat, mais la conversation qu’il provoque. 

En encourageant les équipes à échanger autour de leurs profils, les managers peuvent créer un langage commun sur les différences de rythme, de communication ou de motivation. 
 

L’enjeu n’est pas de coller une étiquette, mais d’ouvrir un espace de dialogue sur la diversité des façons de penser et d’agir. 

2. Accompagner les résultats par une véritable réflexion collective

Un questionnaire livré sans accompagnement reste une lecture incomplète. Pour en tirer un bénéfice, il doit être interprété, débattu et contextualisé. Un débriefing collectif permet de passer d’une lecture rigide à une approche vivante et nuancée. 

Plutôt que de demander “Quel est ton profil ?”, il est plus pertinent de questionner : 

“Qu’est-ce que ce résultat t’évoque ? Qu’est-ce qu’il oublie ? Qu’en retiens-tu pour ton travail quotidien ?” 

Cette mise en perspective replace la responsabilité de l’interprétation entre les mains de chacun. De plus, cela transforme le test en outil d’introspection et de développement plutôt qu’en instrument de classement. 

3. Favoriser la pluralité des modèles et des regards

Le MBTI et le DISC ne doivent pas être utilisés comme des références uniques. 
Ils peuvent être complétés par d’autres modèles, comme le Big Five, ou par des approches qualitatives centrées sur l’expérience vécue. 

Combiner différentes sources d’observation via des questionnaires, des entretiens de développement, des feedbacks à 360° ou encore des échanges d’équipe est essentiel. En effet, cela permet d’obtenir une vision plus équilibrée de la personnalité et des comportements. 
Finalement, cette pluralité d’outils empêche la simplification excessive et valorise la complexité réelle des individus. 

4. Replacer la discussion humaine au cœur du management

L’essence d’un management responsable ne réside pas dans la catégorisation, mais dans la conversation continue. 

En effet, les questionnaires peuvent être un point de départ, mais c’est le dialogue qui crée la compréhension. Plutôt que de s’appuyer sur des profils, il est plus pertinent d’interroger les besoins, les motivations et les conditions de collaboration :  

“Qu’est-ce qui te permet d’être à ton meilleur niveau ?” 
“Dans quelles situations te sens-tu freiné ou désaligné ?” 

Ces questions, ouvertes et bienveillantes, replacent la relation humaine au centre et redonnent au management son rôle premier : celui d’accompagner, et non de classer. 

5. Valoriser la diversité comportementale comme une richesse collective

Il ne s’agit pas d’homogénéiser les profils, mais de reconnaître la complémentarité des styles. Une équipe performante ne se compose pas de profils identiques, mais de personnalités capables d’apprendre les unes des autres. 

De ce fait, le rôle du manager consiste à encourager cette cohabitation des différences. Il doit pouvoir créer un cadre où chacun peut exprimer sa singularité, sans être enfermé dans un rôle, au service des ambitions de l’équipe.. 
 

C’est en valorisant la diversité cognitive et émotionnelle que l’entreprise développe sa capacité d’adaptation. 

La liberté plutôt que l’étiquette...

Marie Albertini CEO et consultante Jalan

Les questionnaires de personnalité comme le MBTI ou le DISC ne sont pas des outils à rejeter, mais à remettre à leur juste place. Ils peuvent enrichir la compréhension mutuelle des collaborateurs, à condition de rester des invitations au dialogue, jamais des définitions. 

L’entreprise du futur ne cherchera pas à classer les individus, mais à leur offrir la liberté d’en sortir. 

Car la véritable performance naît de la nuance, de la curiosité et de la possibilité donnée à chacun de se réinventer… Au-delà des lettres, des couleurs ou des typologies.